L’ire de la musicienne
Achmed n’avait pas pour habitude d’offrir des cadeaux d’anniversaire à Raphsodie. Il faut dire que cela n’était même jamais arrivé. Aussi, lorsqu’elle se réveilla, au matin du quatrième anniversaire de sa rencontre avec le Barde-assassin, elle fut surprise de découvrir des paquets aux pieds de son lit. Du haut de ses dix ans (pour le peu qu’elle en savait sur son âge), elle s’émerveillait encore de certains aspects de la vie et attendait, avec impatience, le jour ou son mentor se déciderait à fêter ses anniversaires dignement. Sautant de son lit, elle se rappela ce qu’Achmed lui avait appris dès les premiers jours de son entrainement :
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Quoi qu’il arrive, sois toujours prête ! Lui avait il martelé chaque jour jusqu'à ce qu’elle en fasse un réflexe.
Elle prit alors le temps, avant d’ouvrir le moindre paquet, de faire son lit et sa toilette, d’enfiler ses vêtements propres, de passer sa dague à sa ceinture et de se restaurer. Elle revint alors vers les présents, emballés dans du papier de soie rose, empilés les uns sur les autres. Elle les compta soigneusement.
Ouvrant précautionneusement le premier des cinq, le plus gros, elle poussa un grand cri en y trouvant une magnifique robe blanche, pleine de froufrous et de dentelles. Elle la porta devant elle et fila droit au seul miroir de la petite maison de campagne dans laquelle le professeur et son élève avaient élus domicile. Tournant comme une folle sur elle-même, elle se voyait déjà l’invitée des plus grands bals de la noblesse.
Elle posa doucement la robe sur son lit et s’attaqua au second paquet. Il contenait des ballerines plates, assorties à la robe. Raphsodie chantonnait et ses yeux s’embuaient de larmes de joie. Elle arracha le papier du troisième paquet et y découvrit un loup blanc, finement brodé et équipé de deux lanières d’un tissu très doux. Elle le passa sur son visage et retournant au miroir, se demandait si Achmed n’avait réellement pas l’intention de l’emmener à un bal masqué. Recevoir des cadeaux était déjà surprenant, mais là, elle ne comprenait plus rien. Ces intentions ne collaient pas avec le personnage.
Intriguée, elle ouvrit le quatrième paquet et en sortit une lyre à sept cordes. Elle observa l’instrument, lui trouvant un aspect étrange. Sur un des côtés de la lyre, à mi hauteur, se trouvait une encoche qui n’avait rien à faire là. Sachant parfaitement jouer de cet instrument car son professeur lui en avait enseigné l’art, elle en vérifia la sonorité. Les notes qui en sortirent étaient puissantes et heureusement que ses années de pratique l’avaient muni d’une certaine épaisseur de corne aux doigts car les cordes étaient tendues à l’extrême.
Ouvrant finalement le dernier paquet, fin et cylindrique, elle y trouva une flèche et un petit papier enroulé dans une jarretière. Elle défit le papier sur lequel dansait la ronde écriture d’Achmed :
« 11h30, 10 rue des persiennes, seulement l’homme »
Ces quelques mots suffirent à la ramener à la réalité.
En colère, elle fourra la robe, les chaussures et tout le reste dans son sac en cuir et sortit de la maison en trombe. Il était environ 10h et elle n’avait pas de temps à perdre. Elle arriva un peu en avance à l’adresse indiquée et frappa à la porte d’une demeure du quartier commerçant. Une vieille servante aigrie vint lui ouvrir et, après un regard désapprobateur envers sa condition d’Elfe, lui fit signe de la suivre à l’intérieur.
La maison, bien que très simple vue de l’extérieur, était richement décorée. L’entrée se faisait par un petit hall dont les murs étaient ceints de tableaux de paysages et natures mortes en tous genres. Des vases en porcelaine peinte étaient posés sur des colonnades de marbre blanc. La tapisserie était épaisse et de couleur vive. Raphsodie fut guidée par la servante vers une petite pièce attenante à la cuisine. Elle servait de débarras et était encombrée d’ustensiles divers. La servante, au corps et à l’esprit voutés par les années de service, lui intima de se changer et de la rejoindre dans la salle à manger.
La jeune Elfe sortit ses présents de son sac et se déshabilla. Elle enfila sa robe et maudit son mentor de la lui avoir offerte pour cette occasion. Elle enfila ses ballerines et, relevant sa robe, glissa sa jarretière à sa jambe droite en y attachant la flèche. Après avoir relâché et défroissé quelque peu sa robe, elle plaça le loup sur son visage et le noua sous sa longue chevelure brune. Ses habits pliés et rangés dans son sac, elle prit sa lyre et entra dans lui cuisine après avoir planqué ses affaires.
Dans la cuisine, un jeune cuistot s’affairait sur des mets délicats et l’odeur alléchante donna faim à la jeune Elfe. Il ne la vit pas prendre une fleur au blanc immaculé dans l'un des vases et encore moins se l’attacher dans les cheveux, tellement il était occupé à préparer le festin.
Raphsodie entra dans la salle à manger et resta émerveillée par le somptueux mobilier en bois précieux et les drapés de satin qui ornait les fenêtres. La servante désigna une alcôve cernée de plante grimpante et elle en déduisit qu’elle devait y prendre place.
Après d’interminables minutes, la porte donnant sur le hall s’ouvrit et quatre personnes entrèrent dans la salle. Raphsodie se prépara, mais elle fut soudain prise d’un doute. Il venait de rentrer dans la salle, deux hommes et deux femmes. Les consignes d’Achmed étaient claires…
« Seulement l’homme », oui, mais lequel… elle ne pouvait tuer les deux sans en avoir reçu la demande. Les ordres étaient toujours d’une précision absolue et ne laissaient jamais place au doute. De plus, elle n’avait qu’une seule flèche.
Résignée, elle allait donc devoir attendre. Achmed savait toujours ce qu’il faisait. Rien n’était laissé au hasard. Elle prit donc son mal en patience et se concentra, à l’affut du moindre indice sur sa cible. L’homme le plus grand des deux était certainement une personne influente. Il parlait d’une voix grave et avec autorité. Les trois autres personnes l’écoutaient avidement. Il était habillé d’un costume en laine très simple mais très bien taillé et son maintient était impeccable. Il était large d’épaules et devaient certainement avoir une force correspondante à sa carrure. Le deuxième homme, quand à lui, était petit et replet. Sa tenue de marchand montrait bien qu’il devait son entrée dans le beau monde à son seul sens du commerce et non à sa naissance. Sa voix était fluette, presque désagréable mais ses paroles étaient pesées et pas un mot ne sortait de sa bouche s’il n’avait un but précis. Les deux femmes, très belles et parées de nombreux bijoux, portaient des rodes de soie et coiffes en dentelles. L’une était blonde et souriait à tout va, l’autre, brune, écoutait attentivement les paroles des deux hommes et semblait noter mentalement chaque détail de la conversation.
Les deux couples se mettant à table sur l’invitation de l’homme à la haute prestance, un serviteur vint leur servir des rafraichissements et en profita pour faire signe à Raphsodie de jouer quelque chose. De sa douce voix d’Elfe âgée de dix ans à peine, elle entama un chant poétique et l’accompagna de quelques notes simples à la lyre. Aussitôt, les conversations s’arrêtèrent et les quatre têtes se tournèrent vers la musicienne qui, jusque là, était passée inaperçue. Sentant les regards braqués sur elle, elle ne perdit pas sa concentration et continua son interprétation d’un chant Elfique. Lentement, les convives reprirent leurs conversations et très vite, le repas fut servit. Des mets tous plus odorants les uns que les autres furent présentés et, les femmes y goutant du bout des lèvres, les hommes y firent honneur.
A la fin du repas, quelque part au beau milieu de l’après midi, l’homme grassouillet se leva, remercia son hôte, gratifia les deux jeunes femmes de quelques compliments totalement gratuits et quitta la salle sans un regard pour la jeune Elfe.
Le maitre des lieux, sur un ordre simple, congédia ses serviteurs mais n’intima pas à Raphsodie de partir. Elle continua donc à jouer et à chanter comme si de rien était, assise dans son alcôve.
La femme blonde se leva et dans un grand rire, vint s’assoir sur les genoux de l’homme, qui en profita pour placer ses grandes mains sur le postérieur de la belle.
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Messire voudrait il un désert ? demanda suavement la blonde.
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Un ? Pourquoi un ? répondit il en jetant un regard plein de certitudes vers l’autre femme.
Sans un mot, la brune, dont l’incroyable beauté ternissait celle de la blonde, se leva et délassa sa robe. Laissant le tissu choir sur le sol, elle l’enjamba et s’avança, entièrement nue, vers le couple. Sa peau était d’une blancheur irréelle et elle avait des formes voluptueuses. Raphsodie, bien que très jeune, en éprouva de la jalousie.
La jeune Elfe se rappela soudain la raison de sa présence et ces lieux mais la femme en tenue d’Eve masquait à présent la cible de son corps. La jeune femme blonde tourna son regard vers l’homme et lui dit très doucement :
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Voilà qui devrait certainement satisfaire tes appétits, mon amour.
Sur ces paroles, elle attrapa le bras de la brune et l’attirant vers elle, se leva et l’embrassa à pleine bouche. L’homme se leva à son tour et déshabilla celle qui devait très certainement être son épouse, puis, guidé par l’excitation, il retira aussi ses habits. Alors que le trio commençait une danse amoureuse des plus sensuelles, Raphsodie souleva doucement sa robe, sans s’arrêter de chanter.
Ne perdant rien de la scène, concentrée sur la position précise de chacun et sur l’acte qu’elle allait commettre, elle encochât discrètement sa flèche. La femme brune, alors que quatre mains se baladaient sur sa peau douce, jeta un bref regard vers Raphsodie et s’écarta froidement et soudainement de l’homme, lui laissant le champ libre pour tirer.
Le temps sembla alors se figer dans l’esprit de la musicienne. Devenue une archère à l’instant précis ou sa flèche prenait place sur la corde centrale de lyre, elle banda ses muscles et retint son souffle. Elle ne visualisa plus que sa cible. Une ligne droite venait de se tracer dans son esprit entre la pointe de son projectile et le torse de l’homme et rien ne pourrait plus l’en détacher. Le couple continuait son jeu sans se douter de rien, aussi, lorsque la corde résonna une dernière fois, lançant le trait dans sa course folle, la tête de la jeune femme blonde ne se trouvait qu’a quelques millimètres de la trajectoire. Elle mit plusieurs secondes avant de comprendre ce qu’était ce bout de bois qui dépassait de la poitrine musclée de son mari et lorsqu’elle le réalisa enfin, le corps sans vie venait de s’affaler sur la chaise. Brisant le silence, un cri perçant monta de la gorge de la femme, alors que celle qui devait servir de dessert ne montrait aucune émotion. La femme brune ramassa lentement sa robe et, alors que Raphsodie quittait précipitamment les lieux de son forfait, asséna à la blonde, d’une voix pleine de rancœur :
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Avec les compliments de mon époux!
Raphsodie n’attendit pas d’en savoir plus. Elle traversa la cuisine en trombe, récupéra son sac, se changea rapidement, jeta avec regret sa belle robe blanche et ses accessoires dans les braises du four et sortit de la maison par une porte donnant sur une arrière cours. Lorsqu’elle regagna la rue, redevenue une jeune fille comme les autres, la garde d’EZNA se précipitait déjà dans la maison pour y découvrir la scène du crime et celle qui l’avait certainement prémédité.
Raphsodie apprit plus tard, de la bouche même de son mentor, que le mari de la brune s’était fait poignarder, sur ordre de la blonde, alors qu’il avait éconduit ses avances. Elle n’évoqua jamais avec lui sa déception d’avoir dû se défaire de ce qu’elle avait prit pour des cadeaux d’anniversaire.
PS: Que vous aimiez ou non, dites moi ce que vous en pensez en MP. Merci de vos avis.
J'ai pu laisser trainer quelques coquilles, également. Je compte sur vous pour me les signaler.